Clause de désignation
:
le conseil constitutionnel censure les clauses de désignation
Faisant suite à une question prioritaire d'inconstitutionnalité (QPC), le conseil constitutionnel à déclaré contraires à la constitution
les articles de loi prévoyant les clauses de désignation et en particulier
:
■
le 2° du paragraphe II de l'article 1er de la loi relative à la sécurisation de l'emploi
■ et l'article L.912-1 du code de la sécurité sociale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de la mutualité ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 6 juin
2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la
sécurisation de l'emploi ; qu'ils contestent la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 1er
ainsi que celles de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale que les dispositions de l'article 1er
complètent ;
- SUR L'ARTICLE 1er
DE LA LOI DÉFÉRÉE ET L'ARTICLE L. 912-1 DU CODE
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE :
2. Considérant que les dispositions contestées de l'article 1er
de la loi déférée prévoient la
généralisation de la couverture complémentaire collective santé
pour l'ensemble des salariés ;
qu'aux termes du premier alinéa du A du paragraphe I de cet article : « Avant le 1er
juin 2013, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords
professionnels engagent une négociation, afin de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à
adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une
maternité ou un accident dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l'employeur sont
au moins aussi favorables que pour la couverture minimale mentionnée au II de l'article L. 911-7 du code de la sécurité
sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d'accéder à une telle couverture avant le 1erjanvier 2016 » ;
que les sept alinéas
suivants du A précisent le champ d'application de la négociation ; qu'en particulier, en vertu du 2° du A, figurant au quatrième
alinéa de l'article 1er, la négociation porte notamment sur « les modalités de choix de
l'assureur » et examine « les conditions, notamment tarifaires, dans lesquelles les entreprises peuvent retenir le ou les
organismes assureurs de leur choix, sans méconnaître les objectifs de couverture effective de l'ensemble des salariés des
entreprises de la branche et d'accès universel à la santé » ;
3. Considérant que le 2° du paragraphe II de l'article 1er a pour objet de compléter l'article L.
912-1 du code de la sécurité sociale par un alinéa ainsi rédigé
:
« Lorsque les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l'article L. 911-1 prévoient une mutualisation des
risques en application du premier alinéa du présent article ou lorsqu'ils recommandent, sans valeur contraignante, aux
entreprises d'adhérer pour les risques dont ils organisent la couverture à un ou plusieurs organismes, il est procédé à une mise en
concurrence préalable des organismes mentionnés à l'article 1erde la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989
renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques. Cette mise en concurrence est réalisée dans
des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre les candidats et selon des modalités prévues
par décret. Ce décret fixe notamment les règles destinées à garantir une publicité préalable suffisante, à prévenir les
conflits d'intérêts et à déterminer les modalités de suivi du contrat. Cette mise en concurrence est également effectuée lors
de chaque réexamen » ;
4. Considérant que, selon les requérants, en permettant, d'une part, qu'un accord de branche désigne un organisme de
prévoyance pour l'ensemble des entreprises de la branche
et, d'autre part, que cette désignation s'impose aux entreprises de la branche bénéficiant déjà d'une complémentaire santé,
les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, qui est complété par le 2° du paragraphe II de
l'article 1er de la loi déférée, méconnaissent la liberté contractuelle découlant de
l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
qu'ils soutiennent que les dispositions du 2° du paragraphe II de l'article 1er, en ce qu'elles posent de nouvelles limites
au principe de libre concurrence entre les divers organismes de prévoyance, sont contraires à la liberté d'entreprendre ainsi qu'au principe
d'égalité devant la loi ; que les sénateurs mettent également en cause, pour l'ensemble de ces motifs, les dispositions du 2° du
A du paragraphe I de l'article 1er ; que les députés font également valoir que les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité
sociale méconnaissent les dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en ce que le droit des
travailleurs de déterminer collectivement leurs conditions de travail doit s'exercer dans l'entreprise et non au niveau de la
branche professionnelle ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes fondamentaux…
des obligations civiles et commerciales » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa
compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres
dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
6. Considérant que, d'une part, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la
liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences
constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées
au regard de l'objectif poursuivi ;
que, d'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui
ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la
Déclaration de 1789 ;
7. Considérant, en premier lieu, que les dispositions du A du paragraphe I de l'article 1er
ont pour objet d'imposer aux branches professionnelles d'engager, avant le 1erjuin 2013, une négociation pour garantir
aux salariés une couverture « en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une
maternité ou un accident » ;
que la couverture complémentaire santé ainsi prévue est « collective » et « à adhésion obligatoire » ;
qu'elle doit être effective avant le 1er
janvier 2016 ;
que cette négociation porte notamment sur la définition du contenu et du niveau des
garanties, la répartition de la charge des cotisations entre employeurs et salariés, ainsi que « les modalités de choix de
l'assureur » ;
qu'elle examine en particulier les conditions notamment tarifaires, dans lesquelles les entreprises peuvent
retenir le ou les organismes qu'elles ont choisis, « sans méconnaître les objectifs de couverture effective de l'ensemble
des salariés des entreprises de la branche et d'accès universel à la santé » ;
que ces dispositions, en ce qu'elles se bornent à prévoir l'ouverture d'une négociation portant sur « les
modalités de choix de l'assureur » et les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent retenir le ou les organismes
de prévoyance de leur choix, ne sont contraires à aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ;
8. Considérant, en second lieu, que la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée peut être appréciée à
l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ;
que les dispositions contestées du 2° du paragraphe II de l'article 1erde la loi déférée complètent celles de
l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ;
9. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de cet article L. 912-1, lorsque les accords professionnels ou
interprofessionnels prévoient une « mutualisation des risques » dont ils organisent la couverture auprès d'un ou plusieurs
organismes de prévoyance, « auxquels adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application
de ces accords, ceux-ci comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité les modalités
d'organisation de la mutualisation des risques peuvent être réexaminées. La périodicité du réexamen ne peut excéder cinq ans
» ;
que, selon le deuxième alinéa du même article, lorsque les accords mentionnés précédemment « s'appliquent à une entreprise
qui, antérieurement à leur date d'effet, a adhéré ou souscrit à un contrat auprès d'un organisme différent de celui prévu
par les accords pour garantir les mêmes risques à un niveau équivalent », les stipulations de l'accord de niveau supérieur
doivent primer, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 2253-2 du code du travail ;
10. Considérant que, par les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, le législateur a entendu
faciliter l'accès de toutes les entreprises d'une même branche à une protection complémentaire et assurer un régime de
mutualisation des risques, en renvoyant aux accords professionnels et interprofessionnels le soin d'organiser la
couverture de ces risques auprès d'un ou plusieurs organismes de prévoyance ; qu'il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général ;
11. Considérant que, toutefois, d'une part, en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 912-1 du code de
la sécurité sociale, toutes les entreprises qui appartiennent à une même branche professionnelle peuvent se voir imposer non
seulement le prix et les modalités de la protection complémentaire mais également le choix de l'organisme de
prévoyance chargé d'assurer cette protection parmi les entreprises régies par le code des assurances, les institutions
relevant du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale et les mutuelles relevant du code de la mutualité ;
que, si le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des
risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat
de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la
branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence, il ne saurait porter à ces libertés
une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau
de la branche et au contenu totalement prédéfini ;
que, par suite, les dispositions de ce premier alinéa méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre ;
12. Considérant que, d'autre part, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 912-1 permettent d'imposer que,
dès l'entrée en vigueur d'un accord de branche, les entreprises de cette branche se trouvent liées avec l'organisme de
prévoyance désigné par l'accord, alors même qu'antérieurement à celui-ci elles seraient liées par un contrat conclu avec un
autre organisme ; que, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 11 et sans qu'il soit besoin d'examiner le grief
tiré de l'atteinte aux conventions légalement conclues, ces dispositions méconnaissent également la liberté contractuelle et
la liberté d'entreprendre ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité
sociale portent à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de
l'objectif poursuivi de mutualisation des risques ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs dirigés contre le
2° du paragraphe II de l'article 1erde la loi déférée, ces dispositions ainsi que celles de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale
doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
14. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale prend effet
à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle n'est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors
de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du
titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ;
Décide :
Article 1.– Le 2° du paragraphe II de l'article 1er de la loi relative à la sécurisation de
l'emploi est contraire à la constitution.
....
Article 3.– L'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale
est contraire à la Constitution.
Article 4.– La déclaration d'inconstitutionnalité de
l'article 3 prend effet à compter de la publication de la
présente décision dans les conditions prévues au considérant 14.
Article 5.– La présente décision sera publiée au
JO de la république française |